« Convertissez-vous et croyez à l’Evangile » eh c’est bon ! je suis converti moi, je suis catholique, baptisé, communié, confirmé, et cerise sur le gâteau (bien que ce ne soit pas vraiment de circonstance en ce temps de jeûne), je vais à la messe le mercredi des cendres, autant vous dire que je suis un catholique de choc, je n’ai pas besoin d’être converti ! La conversion, c’est bon pour les païens, pour ceux justement qui ne croient pas à l’Evangile, pour tout ceux qui n’en ont jamais entendu parler, ceux qui sont pas là aujourd’hui justement.
Ah bon, parce que c’est comme ça que vous imaginez l’action des missionnaires ? Ils arrivent sur une ile avec des sauvages (ben oui quitte à être dans la caricature), ils se posent sur la plage et ils hurlent : « convertissez-vous bande de païens, croyez à l’Evangile » et les foules accourent et elles se convertissent en masse à la voix puissante des convertisseurs patentés, et on baptise les milliers de païens à la lance à incendie… mais oui, mais oui et la marmotte elle met le chocolat dans le papier d’alu, non ? D’ailleurs, c’est pareil chaque fois que vous tentez de convertir un ami ou un collègue de travail, vous vous posez devant eux en hurlant « convertissez-vous les gars et croyez à l’Evangile ! » et ça marche… pas ! En fait ça n’a jamais marché, aucun missionnaire, aucun catholique n’a jamais procédé de la sorte !
Pour tout vous dire, il y a deux sortes de conversions : il y a celle dont on nous parle tout le temps, celle qui concerne les autres, soit pour vous inquiéter : oui il parait qu’il y a des centaines de conversion à l’islam dans les cités ; ou bien : moi ce que je voudrais, c’est convertir tous mes voisins. ça c’est la première conversion, le passage d’un état à un autre état. C’est la conversion statique.
Oui, mais alors, si la conversion ce n’est que ça : le passage de « je ne croyais pas » à « maintenant je crois », une sorte de brevet d’aptitude, un tatouage qu’on vous appliquerait pour vous dire « maintenant tu es des nôtres, tu fais parti du clan », c’est rien ou presque rien. Si la conversion ce n’est qu’un état, alors oui vous n’avez rien à faire ici ce soir, parce que, de fait, vous êtes catholiques. Et trop de catholiques croient qu’ils sont convertis, parce qu’ils sont catholiques justement et que, du coup, ils n’ont plus besoin de conversion, ils sont tombés dedans quand ils étaient petits.
Mais il y a une deuxième conversion : celle du mercredi des cendres, celle que vous entendrez dans un instant : « convertissez-vous et croyez à l’Evangile », celle qui ne s’adresse pas aux païens, mais celle qui s’adresse aux catholiques, aux baptisés, à ceux qui ont entendu l’Evangile, à vous aujourd’hui. Elle n’est pas le passage d’un état à un autre, elle est un chemin à la suite du Christ.
Elle s’adresse à tout ceux qui ont peur de s’endormir sur leur foi, à tout ceux qui ont peut-être laissé s’attiédir leur vie avec le Christ ; parce qu’on peut s’habituer à être catholique, on peut s’habituer à venir à la messe le mercredi des cendres, on peut s’habituer à communier chaque dimanche, on peut se laisser endormir dans la douce torpeur d’une église, dans la tradition de la messe dominicale et du gâteau qui va avec à la sortie, dans la mollesse d’une vie de piété, dans l’habitude d’une vie catholique, dans la tiédeur de la lutte contre le péché : « boh de toute manière je n’y arriverai jamais ! et puis à quoi ça sert ? Et puis de toute manière je peux me confesser, alors… », On peut s’habituer à l’Evangile, ne plus rien lui trouver de dérangeant, plus rien de révolutionnaire, « cet évangile ?? Mais ça fait 20 ans que je l’entends, et il n’y a rien de neuf, rien de changé et ce sera comme ça jusqu’à la fin de ma vie ». Si c’est le cas de deux choses l’une :
Soit vous vous laissez glisser sur cette pente descendante et vous glisserez lentement jusqu’au fond, dans la boue. et peut-être que, dans trente ans, vous vous retrouverez sur le même banc d’église, sagement assis à écouter la messe des cendres, médiocrement, sans que rien n’ait changé dans votre vie et, plein de morgue et d’arrogance, vous continuerez à dire aux païens qu’ils devraient se convertir et, plein d’orgueil et de vanité, vous continuerez à croire que vous vous n’avez pas besoin de conversion…Et vous êtes déjà froid, déjà vieux, déjà désenchanté, résigné, presque mort, vous êtes en grand danger !
Mais il y a une autre alternative. Vous pouvez laisser résonner dans votre cœur cette parole : « convertissez-vous et croyez à l’Evangile ». Vous savez qu’être catholique ce n’est pas une décoration, mais une vie, un risque, une aventure. Vous savez que le Christ est venu pour une remise en cause, vous savez que l’Evangile est dérangeant et vous voulez être dérangé. C’est pour cela que vous êtes là aujourd’hui.
Cette année encore vous ne voulez pas vous laisser endormir par l’habitude mortelle, par le rythme mou, par les semaines moutonnières de votre vie : métro, boulot, dodo.
Cette année encore vous voulez entrer résolument dans ce carême, pour choisir votre vie, pour vous laisser bousculer par l’Evangile, pour ne laisser personne d’autre décider à votre place, pour suivre le Christ, le suivre 40 jours au désert, 40 jours de carême. Mais, avec lui, vous visez bien plus loin que le carême, bien plus haut et vous avez raison.
Si l’Eglise vous propose de prier, de jeûner et d’offrir, c’est parce que votre conversion a un prix et qu’il ne s’agit pas de se payer de mot. Si vous voulez vivre le carême, si vous voulez que quelque chose change dans votre vie, il faut que vous appreniez à renoncer à ce qui vous encombre ; il faut que vous appreniez à donner et plus encore à vous donner ; mais par-dessus tout, il faut que dans la prière, vous reconnaissiez humblement que vous n’êtes que poussière, mais une poussière aimée de Dieu c’est ce qui lui donne toute sa valeur.
Ce soir en vous approchant des cendres, fermez les yeux et faites au Seigneur cette prière : « Seigneur, viens me déranger, viens, convertis-moi ! »