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Homélie pour le 10° dimanche ordinaire, 10 juin 2018 Cathédrale saint Etienne.

Est-Il fou ? Est-Il possédé ? Pour les siens, il en fait trop, il faut l’arrêter dans sa suractivité qui le mène à la catastrophe ; Il en oublie de manger, sa parole incisive indispose les puissants, ses miracles commencent à troubler l’ordre public imposé par l’occupant romain et le pouvoir religieux lui-même des prêtres et des scribes le trouve de plus en plus gênant. Ses nombreuses remises en cause de la Loi ne peuvent venir que d’un ennemi de Dieu. Son pouvoir sur les esprits mauvais n’est-il pas le signe d’une connivence avec leur chef Satan ?

Ces soupçons portés sur l’œuvre de Jésus ne rejoignent-ils pas le soupçon premier porté sur le bien-fondé de l’interdiction divine de manger de l’arbre du Bien et du mal, le péché des origines ? La première lecture vient évoquer cette scène aussi connue que mal comprise. Nous ne sommes évidemment pas en présence d’un reportage. Les noms des personnages : « Adam », celui qui est tiré de la terre. « Eve », la vivante. Un serpent qui parle. Le fait de manger de l’arbre, avec d’autres détails qui parsèment le récit complet nous avertissent de la nature, du genre littéraire du texte : Un récit de sagesse qui va prendre la forme extérieure du mythe pour décrire des réalités si profondes que le langage ordinaire est incapable de les énoncer. Les abîmes de la nature humaine seront mieux éclairés par le langage symbolique. Mais attention ! Ce récit n’est pas de l’Histoire mais, pour autant, il ne nous raconte pas  « des histoires » ! C’est bien sur la base de révélation de la parole de Dieu, inspirée aux sages qui ont composé ce texte, que la réalité bien tangible et parfaitement réelle du péché au cœur de l’humanité homme et femme pourtant créés bons par le Dieu Bon, est portée à notre connaissance. Effectivement, nous apprenons ce qui se passe chaque fois qu’un péché est commis par les humains, quelle en est la racine , l’attitude basique, l’origine profonde. Il ne s’agit pas en réalité de nous informer d’une catastrophe des débuts de l’humanité qui infeste la race humaine(– même si le dogme du péché originel dit avec juste raison qu’il se répand « non par imitation, mais par propagation », et il faut entendre là une réalité incessamment récurrente surajoutée à la nature bonne créée par Dieu , qui apparaît chaque fois qu’un humain advient à l’existence -)mais le processus constant depuis le premier homme et la première femme qui apparaît lorsque chaque homme et chaque femme pécheresse et pécheur rejette la loi de sa conscience relayée par la révélation biblique et chrétienne pour suivre la séduction du mal et perdre l’amitié de Dieu. Selon un procédé littéraire bien connu, on va mettre en scène « à l’origine » une réalité de toujours et donc effectivement bien là depuis les origines ! Le soupçon porté sur un dieu qui voudrait se réserver l’accès à la Vie , un dieu qui serait jaloux de ses prérogatives, un dieu somme toute mesquin et restrictif, un dieu au fond pas si bon que ça . Un dieu à qui il ne faut pas faire confiance et dont il faut s’émanciper, pour arracher ce qu’il refuse , accéder à ce qu’il interdit, on se demande bien pourquoi ! Très vite l’illusion sera dissipée !  Au lieu de la conquête triomphale de la Vie, les fruits amers du soupçon se manifestent ; La peur de Dieu, la nudité d’une condition qui va semer les conflits que nous connaissons bien, entre l’homme et le femme, entre les frères désormais ennemis, la nature qui n’est plus en harmonie avec l’humanité, le travail pénible et aliénant…..Dieu voulait en fait mettre en garde contre ce faux bonheur immédiat que le tentateur fait miroiter de façon fallacieuse et illusoire comme le constatent très vite « Adam »et « Eve ».

Malentendu tragique : L’inter-dit, cette Parole de Dieu refusée et soupçonnée de mensonge ,est accusée d’être opposée au bonheur humain, alors qu’elle est la condition de l’accès en plénitude à ce bonheur comme le veut le Dieu Bon des origines, le Dieu Bon de toujours . Ce bonheur  ne peut qu’être offert par Dieu et non conquis contre Dieu. Offert dans un processus de croissance et d’alliance, d’amitié et de confiance comme le Créateur Bon l’avait prévu pour le bonheur de sa créature. L’écoute préférentielle de la parole du serpent trompeur, voix de la convoitise qui veut tout, tout de suite et même avant , ce n’est pas humain, ce n’est pas possible ! Les ravages de la convoitise  dès qu’elle envahit le cœur sont incapables de donner le bonheur. Celui-ci ne peut que se construire, patiemment, dans la lente humanisation des personnes en croissance progressive vers un accomplissement qui va mûrir dans la relation juste et confiante avec Dieu et selon la sûre conduite de Sa Parole. Dans le respect de l’autre humain allié et non objet de mon désir, de mon pouvoir, de ma convoitise. En dialogue respectueux avec la nature à garder et à cultiver comme un bon jardinier et non à exploiter sauvagement en laissant une gigantesque poubelle aux générations futures.

On peut comprendre que Jésus qui est Lui-même cette parole de Dieu refusée « aux origines » et inlassablement rejetée à chaque péché, soit plus que furieux de se voir ranger du côté de Satan ! Lui qui vient précisément donner sa vie pour racheter le péché du monde. Lui qui va sur l’arbre de la croix inverser le processus de mort de l’arbre mangé de la genèse pour rendre gratuitement à l’humanité l’accès à l’arbre de Vie et accomplir malgré les refus réitérés des pécheurs et des pécheresses leur retour ou plutôt leur accès non au paradis mythique des origines, mais à la joie sans fin du royaume éternel. Paul nous décrit ce renouvellement progressif de l’homme intérieur malgré les détresses amenées par la convoitise et le soupçon. Par pure grâce le don de la demeure éternelle dans les cieux nous est offert . Cette demeure n’est pas l’œuvre des hommes !

Pour y entrer, il faut simplement « être de la famille » de Jésus , en faisant la volonté de Dieu et non celle du Satan, en imitant La Parole de Dieu incarnée en sa vie humaine, qui n’a pas été rebutée par le refus et le soupçon , qui va garder et accomplir son dessein indéfectiblement positif et bienveillant en prenant condition humaine en Jésus de Nazareth, vrai Dieu et vrai homme, « pour nous les hommes et pour notre salut ».

Abbé Jean-Jacques Rouchi