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Homélie pour le 11°dimanche ordinaire – 17 juin 2018 ND de La Dalbade

« L’essentiel est invisible pour les yeux, on ne voit bien qu’avec le cœur » dit le renard au petit prince dans le roman de Saint-Exupéry ! Tel  pourrait être le sens  profond de ces deux petites paraboles que nous venons d’entendre. Pour nous aider à mieux comprendre les réalités mystérieuses du monde spirituel, dont nous ne pouvons ici-bas avoir que de très vagues idées, et souvent fausses, Jésus emploie volontiers ces comparaisons tirées de la vie quotidienne de ses contemporains. Elles sont plus à même que des explications abstraites ou philosophiques qui figent les idées, de nous donner à penser en éveillant notre propre créativité et notre imagination. Sans épuiser le mystère, elles mettent en mouvement l’adhésion de notre foi.

Ce grain de blé qui doit accepter pour devenir fécond de s’enfouir dans la terre, d’être livré au mystérieux mécanisme d’une rupture de sa coque protectrice pour s’adapter à la sombre humidité du sol nourricier, de pousser des racines et des tiges avant de reparaître à la lumière comme une herbe fragile avant de devenir une plante complète et de produire enfin des graines multiples en épi en ayant quitté l’obscurité de l’humus, c’est nous !

Nous sommes semés en ce monde terrestre pour évoluer en germination féconde dans le lent processus d’une existence dont nous ne voyons pas bien la finalité mais qui se déploie en espérance de vie éternelle aussi surement que la graine dans le sol. Il nous faudra connaître les apprentissages du dépouillement de nos coques d’égoïsme, de péché, de refus d’aimer comme le Christ nous en a donné l’exemple pour pouvoir pousser les racines de l’attention aux autres, du sens du service, de l’altruisme, pour que notre vie spirituelle se déploie en fruit de bonté, de charité, de solidarité et de croissance.; il nous faudra accepter de dépouiller le vieil homme (pourquoi ne pas dire aussi la vielle femme en ces temps de langage inclusif), en une lutte toujours recommencée, pour pouvoir devenir cette créature nouvelle que nous avons commencé d’être à notre baptême et paraître avec assurance devant ce tribunal du Christ, dont Paul nous parle dans la deuxième lecture.

Et comme nous ne sommes pas seuls dans cette aventure qui concerne l’humanité entière, la deuxième image de la graine de moutarde décrit le déploiement d’un arbuste potager qui devient susceptible d’accueillir tous les oiseaux du ciel et leur nidification !  Belle image de l’Eglise : semée dans l’insignifiance de quelques pécheurs galiléens et qui va en trois siècles devenir l’Eglise universelle à qui il sera demandé de sacrer l’empereur de ces romains jusque-là persécuteurs acharnés des adeptes du crucifié du Golgotha. Au terme, il est vrai de trois siècles de martyres au cours desquels la graine des témoins jusqu’au don du sang aura été moulue par la dent des bêtes dans les cirques des cités romaines pour que le pain eucharistique soit consommé dans toute l’étendue du monde connu. L’arbre de l’Eglise abrite depuis vingt siècles les humains de toutes cultures, dans la suite de cette aventure incroyable. Germination difficile, parfois triomphante, souvent renvoyée sinon aux catacombes,  du moins à la persécution, ou, ce qui est pire, à la lente spirale d’une disparition dans l’indifférence, comme celle que nous paraissons connaître dans un occident oublieux de ses racines, et qui semble avoir perdu ce feu sacré de la mission qui lui a fait porter partout la lumière de l’Evangile. Il est vrai qu’ au cours de sa longue histoire, on a pu dire que l’Eglise était un bel arbre, même si dans ses branches vénérables  se sont nichés parfois ou se nichent encore de drôles d’oiseaux !

La différence peut-être, car comparaison n’est pas raison, vient de ce que le grain de blé, la semence de moutarde ou de sésame, est l’objet passif d’un processus qui se déploie malgré elle ! Nous , les humains, sommes des germes conscients de notre croissance, à laquelle nous sommes invités à participer  volontairement . La communion à la vie trinitaire à laquelle nous sommes promis dans l’éternelle joie du Royaume dépend de l’acceptation active de notre consentement. Même si Le Règne de Dieu arrivera à son terme plus sûrement que la germination des semences de nos plantes terrestres, il nous est fait l’insigne honneur d’y participer. Dieu nous a créés et a créé toute l’humanité pour cela. Quel dommage ce serait de passer à côté de cette belle aventure, de ne pas être , à la suite du Christ, pères et  mères du monde à venir, de rester dans notre coque initiale, frileusement crispés dans l’obscurité terrestre, en ne saisissant pas l’exaltante opportunité d’ être un jour gerbes vivantes dans les greniers du Ciel.

L’aventure chrétienne suppose bien des effort, la traversée de multiples épreuves, des passages plus obscurs, des reculs et de dures reprises de l’élan vers le royaume. Mais le divin jardinier est capable de faire revivre les arbres secs ou de reprendre ce petit bout de rameau dont nous parle Ezéchiel pour le replanter et faire redémarrer la croissance triomphante , la victoire sur toute mort, comme le Christ Ressuscité , comme tant d’humains avant nous en ont fait l’expérience, dans une résilience irrésistible.

Abbé Jean-Jacques Rouchi