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Rendre témoignage – homélie du 33ème dimanche du temps ordinaire 2022

Rendre témoignage – homélie du 33ème dimanche du temps ordinaire 2022

Cette semaine, dans la rue, j’ai eu envie d’enlever mon col romain, pour qu’on ne me reconnaisse pas comme prêtre, comme disciple de Jésus Christ, comme membre de son Eglise : j’avais trop honte ! Je pensais qu’il y a un an, nous avions touché le fond et que nous pouvions commencer le travail de reconstruction, le long travail de reconstruction, que nous pouvions, après avoir demandé pardon aux victimes, après les avoir écoutés, après avoir prié, après avoir commencer à réparer le mal commis, entreprendre le chemin vers la lumière.

Mais non !

Jusqu’où devrons-nous tomber ? 

Seigneur, nous ne sommes pas descendus assez profond ? 

Seigneur, nous ne sommes pas encore au fond du gouffre ? 

Seigneur, nous ne sommes pas assez humiliés ? 

Nous n’avons pas assez demandé pardon ?

Et Jésus de répondre « Ce que vous contemplez, des jours viendront où il n’en restera pas pierre sur pierre : tout sera détruit. » 

Tout sera détruit Seigneur ? Tout ce que nous avons mis des siècles à bâtir ? Oui tout ! Il n’en restera pas pierre sur pierre, il ne restera qu’une seule pierre, la pierre angulaire, le Christ celui sur lequel tout doit être bâti. 

Alors Seigneur, que tout ce qui n’est pas bâti sur toi s’écroule.

Et si des pans entiers de ton Eglise doivent s’écrouler Seigneur, donne-nous de ne pas nous battre pour les retenir, de ne pas nous épuiser dans une entreprise vouée à l’échec ou, pire encore, de ne pas nous battre pour les rafistoler en colmatant les brèches sous un sale enduit de mensonge ou de dissimulation, de secret ou de peur. Ces pans qui s’écroulent, ils ne sont pas ton oeuvre, Seigneur.

Mais donne-nous de ne pas nous focaliser sur l’écroulement parce que c’est désespérant Seigneur et nous pourrions passer notre vie à contempler l’écroulement, à le commenter, à vitupérer, à accuser ceux qui souillent ces enfants, ceux qui sapent ton Eglise, ceux qui la salissent par leurs actes immondes, ceux qui ne savent pas la gouverner, la réformer… Nous pourrions chercher des boucs émissaires et nous passerions ainsi notre vie à juger alors que tu nous demandes d’aimer et d’agir, d’agir en aimant. 

Donne-nous de ne pas nous tromper de « modèle à imiter » comme dit saint Paul, car ce n’est pas saint Paul que nous suivons, ce n’est pas tel évêque que nous adorons, ce n’est pas le père Simon que nous écoutons, c’est Toi et Toi seul. « Ne marchez pas derrière eux ! » lances-tu à tes disciples. Cela veut dire : marchez derrière-moi, derrière-moi, à ma suite et ne me lâchez pas d’une semelle, moi « le Soleil de justice qui apportera la guérison dans son rayonnement. »

Parce que dés que je m’éloigne de toi Seigneur, dés que je te perds de vue, c’est pour me tourner vers une sombre idole. 

Alors donne-nous un regard lucide, donne-nous de n’idolâtrer personne et de ne mettre notre foi qu’en Toi. Ça ne veut pas dire que nous ne pouvons pas faire confiance aux autres, il serait invivable ce monde de méfiance et de défiance ; cela veut dire que nous ne mettons qu’en Toi notre foi, cette confiance absolue que Toi  seul peut honorer, « Toi seul qui ne peut ni te tromper ni me tromper ». Dans les hommes, nous mettons une confiance mesurée, celle qu’ils peuvent porter en sachant qu’ils seront toujours décevants ; que nous serons toujours décevants et donc souvent déçus. 

Mais alors Seigneur, quel est le remède, quel est le chemin que tu nous proposes au coeur de cette crise ? Quel est le chemin que tu veux pour ton Eglise aujourd’hui ? Le même depuis 2000 ans : « rendre témoignage » au coeur de la crise. C’est tout ce que tu nous demandes : rendre témoignage.

Parce qu’il y aurait un piège à croire que nous pourrions résoudre cette crise seulement à force de réparation financières, de résolutions, de communiqués de presse, de travail autour de la gouvernance, de procédures juridiques ou d’études sociologiques… il en faudra bien sûr et que ceux qui en ont la charge et le talent s’y attellent et y mettent toute leur énergie. Mais à nous, à l’essentiel de ton peuple, Seigneur, tu demandes seulement de « rendre témoignage » 

Vous me direz que ce n’est pas le meilleur moment pour rendre témoignage? Au contraire je crois que c’est le bon moment, le seul qui nous soit offert  en fait et il ne faut surtout pas un attendre un autre, un autre qui serait meilleur, car alors ce sera toujours demain. 

Parce qu’il ne s’agit pas de témoigner de nous, de nos œuvres et de nos idées mais de Lui, Jésus, notre sauveur : nous y sommes.

Parce que pour rendre témoignage, il faut être pauvre, très pauvre et ne compter que sur le Christ : nous y sommes.

Parce que quand l’Eglise ne peut plus compter sur son pouvoir, son aura, son influence, elle s’en remet aux pauvres, aux enfants et aux saints : nous y sommes.

Parce que dans toutes les périodes de crise, le Seigneur a fait se lever une moisson de saints pour rebâtir son Eglise : nous y sommes. 

« Car notre église est l’Eglise des saints ». Des saints, pas des infaillibles, pas des parfaits, pas des impeccables. Des saints, c’est à dire des pauvres et des pécheurs, de ceux qui ont éprouvé douloureusement leurs limites, leurs failles, leurs misères et plutôt que de s’effondrer, plutôt que de désespérer, ont choisi de T’accueillir, de s’en remettre à Toi qui promets que « pas un cheveu de notre tête ne sera perdu. »

Ce matin je n’ai pas honte. J’ai une joie au coeur, une joie profonde, une espérance que rien ne semble pouvoir déraciner : celle d’être enfant de Dieu, aimé du Père, celle d’avoir été appelé à le servir comme prêtre, celle d’être votre curé aujourd’hui pour « rendre témoignage » avec vous. 

 

Abbé Simon d’Artigue