Comment peut-on commander l’amour? L’amour est un sentiment que l’on a ou que l’on n’a pas,que l’on éprouve ou que l’on n’éprouve pas, que l’on sent reçu ou pas par celui ou celle qu’on aime. Comment peut-on commander l’ amour?!
C’est bien pourtant ce que Jésus nous dit dans cet évangile! La langue française, si riche par ailleurs en vocabulaire et en tournures précises,est singulièrement pauvre lorsqu’il s’agit de parler des diverses nuances de l’amour. La langue originelle de l’évangile et beaucoup plus riche.
L’amour que Jésus commande ici à ses disciples d’avoir les uns pour les autres est désigné par le mot agapê.ce mot comporte une signification de don, celui de l’amour oblatif, l’amour qui donne, l’amour qui se donne jusqu’à livrer sa propre vie, l’amour qui trouve sa joie et son achèvement dans l’existence de l’autre et qui trouve sa joie dans le fait que l’autre nous fait exister nous-mêmes pendant que nous le faisons exister.
C’est un amour si l’on peut dire entièrement altruiste c’est l’amour qui se réjouit du bien de l’autre sans chercher son propre bien ou plutôt qui est sûr lorsqu’il cherche le bien de l’autre de procurer son propre bien.
C’est l’amour qui unit le Père au Fils dans l’éternel échange de l’Esprit Saint.
C’est l’amour où l’on se fait exister réciproquement l’un l’autre.Le Christ va employer dans cet évangile un autre terme qui évoque l’affection,l’attachement,un lien profond:«Vous êtes mes amis si vous faites ce que je vous commande ce mot philosami, philia,amitié désigne le fait d’être cher C-H-E-R,pour quelqu’un d’avoir du prix à ses yeux ou plutôt que l’autrea beaucoup de prix à nos propres yeux.Un autre terme est plus rarement employé à propos de Dieu le terme érosqui désigne l’élan de l’amour avec tout ce que cetélan peut comporter de désir bienveillant, mais aussi, dans la réalité humaine, de violence,de risque de domination,d’utilisation d’instrumentalisation de l’objet aimé.Le pape Benoît XVI dans son encyclique «Dieu est amour»dit que le Seigneur a Lui aussi une certaine forme d’éros,un désir profond d’être aimé par les hommes mais c’est alors de Sa parttoujours offert, malgré tous les rejets, l’amour qui fait exister l’autre,l’amour qui se réjouit du bien de l’autre.L’amour dont Jésus nous parle principalement dans cet évangile est une autre manière de désigner une attitude fondamentale de la Bible et donc de l’évangile, l’alliance.
Aimer c’est véritablement faire alliance.
Mais une alliance qui est toujours à l’initiative de Dieu. Ce n’est pas nous qui avons aimé Dieu c’est Lui qui nous a aimés-et l’on peut même dire qu’il nous aime toujours-le premier.L’amour désigne donc cette relation privilégiée entre Dieu et le peuple d’Israël. Avec certainement, une conception un petit peu trop automatique où la possession tranquille de la terre par le peuple de la Bible est suspendue à l’application exacte de la loi donnée par Moïse. Si le peuple est fidèle à l’alliance Dieu lui garantit le don de la terre. S’il y est infidèle, ses ennemis sont les plus forts ou même, il finit par la perdre,comme lors de l’Exil à Babylone.La longue histoire d’Israël a prouvé que cette lecture était un peu sommaire un peu trop automatique et que,au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire du peuple de Dieu,va se révéler une réalité beaucoup plus complexe mais où Dieu est toujours fidèle surtout lorsqu’Il pardonne à Son peuple. La fidélité aux613 commandements de la loi est quelque chose d’impossible et Paul dira que ni nous (en parlant des juifs du premier siècle),ni nos pères n’avons été capables de la porter de l’appliquer intégralement d’autant plus que ces613 commandements ne sont pas,en rigueur de terme,des cases qu’il faut toutes cocher exactement et entièrement.
Ces commandements dessinent une qualité de relation. De relation avec Dieu,de relation avec soi-même,de relations entre les membres du peuple,de relations aussi,pourquoi pas,avec la nature et avec les autres peuples.Au fur et à mesure de l’avancée de l’histoire d’israël,les pharisiens en particulier avaient fait de la loi un absolu dont l’application stricte et méticuleuse de tous les articles finissait par éreinter l’esprit.Ce qui compte,ce n’est pas d’appliquer intégralement l’énoncé écrit de tous les commandements,mais d’entrer dans la posture,dans l’attitude,dans la forme de relation que la loi veut promouvoir entre les hommes.
Cette loi est donc composée de commandement et là encore nous trouvons un terme qui n’a pas très bonne presse dans la pensée d’aujourd’hui!
Le commandement a l’air d’une réalité vaguement militaire et autoritaire, qui nous est extérieure, voire qui s’impose à nous par la force,qui est soupçonnée d’arbitraire,dont nous ne comprenons pas toujours le bien-fondé.Et en tout cas, son caractère impératif et obligatoire nous rend son application souvent insupportable car ressentie comme contraire à notre liberté voire même à notre dignité. C’est là encore que les termes employés par le grec du Nouveau Testament nous aide à comprendre ce que signifie le commandement que Jésus nous invite à appliquer de bon cœur et à intérioriser.Le mot commandement:«entolê», le verbe je vous commande:«entellomai»vient d’une racine qui désigne l’accomplissement,le «télos»,le terme, le but, la finalité, ce qui accomplit en fait l’intention,le désir,le but,l’idéal d’une personne,d’une action ou d’une réalité.Le commandement est donc ce qui va me permettre de m’accomplir moi-même,ce qui va m’amener au terme de ce que je désire être,à mon plein accomplissement. Sa mise en œuvre implique une adhésion intérieure qui vient de sa nature positive, constructive,conforme à la fois à notre désir profond, à notre plus grand bien et à la finalité de notre nature.Ce pour quoi nous sommes faits et ce pour quoi nous sommes heureux d’être faits!C’est ce genre de commandement que le Christ nous demande de recevoir et de faire. Cette racine a aussi un sens relatif aux astres, et à leur lever.l’Anatolie (actuellement en Turquie) est le lieu géographique,vu depuis l’Occident,où le soleil se lève.C’est donc aussi avec ce mot employé par Jésus l’idée de croissance,,de lumière portée sur notre chemin de vie qui est suggéré.
Un cantique de Pâques,déjà un peu ancien,chante le fait que dans la Résurrection du Seigneur, «Le soleil de Jésus-Christ s’est levé sur l’univers».Ainsi le commandement au sens où Jésus nous demande (nous «recommande») de l’accueillir positivement,est destiné à être reçu comme une lumière,comme une invitation à laisser la lumière du Christ éclairer et orienter nos vies. Appliquer le commandement de l’amour n’équivaut donc pas à remplir encore une fois toutes les cases d’un catalogue de permissions et d’interdictions,mais au contraire entrer dans une attitude de créativité,dans une dynamique où le commandement va donner une forme positive à notre liberté pour le développement de nous-mêmes et pour le meilleur service des autres .
Voilà le sens de ce verbe dans la bouche du Christ:«Ce que je vous commande,c’est de vous aimer les uns les autres ». Enfin , dans cet évangile, le Seigneur nous rappelle que l’Eglise que nous formons,en particulier dans le rassemblement eucharistique,n’est pas constituée principalement par notre choix d’y participer. Si nous «faisons-Eglise»ensemble,ce n’est pas parce que nous avons les mêmes idées,les mêmes idéaux religieux,que nous appartenons aux mêmes catégories sociales, politiques, ethniques, ayant reçu la même éducation…..C’est l’appel du Christ qui nous ressemble dans notre diversité:«Ce n’est pas vous qui m’avez choisi. C’est moi qui vous ai choisis et établis»par le baptême et la confirmation comme membres vivants du même peuple de Dieu, car baptisés dans la même mort et la même résurrection du même Christ.C’est donc un peuple rassemblé,convoqué par le Seigneur que nous constituons au cours de cette eucharistie et d’ailleurs de chaque eucharistie.Aux yeux du monde et pour l’annoncer au monde, nous sommes le corps ressuscité du Christ qui se réalise chaque fois que le sacrement de Son corps et de Son sang est célébré pour le salut du monde.Recevons donc cette mission qui est celle de l’Eglise,qui est celle de chacune et chacun d’entre nous.En accomplissant le commandements de l’amour nous serons fidèles non seulement à l’ordre du Christ mais aussi au plus profond de notre désir,de ce qui pourra le mieux accomplir cet idéal que nous poursuivrons du fond de notre cœur.
Abbé Jean-Jacques Rouchi