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Le monde d’après… – Homélie 5ème dimanche du temps pascal 2020

Le monde d’après… –  Homélie 5ème dimanche du temps pascal 2020

« Que votre cœur ne soit pas bouleversé » ! Il nous est bon en ces temps incertains de déconfinement de recevoir ces paroles consolantes et encourageantes de Jésus. Nous pouvons en effet ressentir douloureusement comme une épreuve pour notre foi les craintes du lendemain et les angoisses du présent face à cette étrange moitié de Carême, à cette semaine sainte sans rameaux ni messe chrismale, ni passion itinérante dans la ville, ni feu nouveau, veillées pascales et baptêmes de jeunes ou d’adultes , l’absence physique des éléments de ce sommet de l’année liturgique habituellement si nourrissant pour la foi. Nous pouvons avoir été touchés de près par le deuil, la perte de parents ou d’amis, les craintes pour la santé de nos proches, l’épuisement des soignants, celui des mères de famille dont la charge se voit soudain multipliée , les dommages peut-être d’une cohabitation de trop longue proximité dans les foyers. Les liens en sortent renforcés ou au contraire renvoyés aux problèmes antérieurs non résolus et qui deviennent de plus en plus pesants dans la monotonie des heures confinées. 

Que de symboles ont été jetés sous nos yeux ! Le vide de la place saint Pierre et de la basilique vaticane sans la foule habituelle des chrétiens. Le Pape seul Urbi et Orbi , devant la Ville et le monde, aussi absents l’une que l’autre! Les églises fermées et privées de célébrations, comme au temps des grandes persécutions, interdites par la loi de la cité. La vie spirituelle manifestement ignorée , ne faisant évidemment pas partie des besoins essentiels. Le pain du boulanger accessible mais pas le pain eucharistique. Et au-delà de l’urgence de la sauvegarde de la vie terrestre, bien compréhensible et légitime, aucune préoccupation de l’assistance de proches ou de ministres du culte pour accompagner le passage à la vie éternelle, sauf çà et là, au gré de l’humanité de quelques soignants qu’il faut ici saluer. La vie temporaire de la terre occulte complètement le champ des préoccupations comme si sa fin était la fin de tout. Le sens de la vie humaine est-il réduit à la prolongation la plus longue possible de sa durée terrestre ? Comme l’espérance pascale a eu peu de retentissement pratique dans le discours et le sentiment sociétal au cœur des journées où elle est d’ordinaire joyeusement célébrée ! De quoi réfléchir sur l’absence de la dimension d’éternité de la personne humaine ainsi manifestée dans l’évidente obsolescence du sens religieux de la vie, silence aussi assourdissant que celui de nos villes . Il faudra, à tête reposée et à foi approfondie, se pencher sérieusement sur la disparition ainsi étalée dans l’estime publique des incidences du sens de la vie porté par l’Evangile ! 

« Que votre coeur ne soit pas bouleversé », nous dit le Seigneur en nous invitant d’abord à voir les signes magnifiques de sa présence à nos côtés, confiné comme nous et bien présent dans ces trésors d’inventivité des chrétiens et des pasteurs pour tirer le meilleur et le nouveau de cette apparente dilution du mystère pascal et de ses célébrations dans les ravages sanitaires du corona virus : Les chansons du curé, la newsletter des cathos confinés et tant d’autres ingénieuses innovations… Le lien communautaire matériellement empêché a permis de redécouvrir à travers whats’app ou zoom, grâce aux rencontres d’autant plus profondément spirituelles qu’elles sont dématérialisées, la puissance du lien fraternel et communautaire. A virus sanitaire, répondent les rencontres qui deviennent « virales » sur le net fraternel ! Pour beaucoup, quelle redécouverte du sens profond de l’eucharistie dans ses déclinaisons concrètes de solidarité et de soins des plus pauvres et des oubliés habituels de nos sociétés d’abondance ! Quelle magnifique opportunité de ce jeûne prolongé de la réception matérielle de la communion au corps eucharistique du Christ , peut-être devenue un peu trop routinière et que la privation permet de redécouvrir dans tout son goût communautaire. « J’ai reçu le Dieu Vivant et mon cœur est plein de joie » pourrons-nous redire dans la ferveur renouvelée des émois d’une nouvelle « première communion ». Nourrie par le dedans, l’intériorité, c’est-à-dire l’Esprit Saint qui dans le silence fait l’unité de l’Eglise, tout comme notre unité intérieure personnelle, quelle sera notre 

joie de faire de nouveau « en corps » l’expérience physique heureuse de la communauté matériellement rétablie et refondée par la grâce même de l’interruption ! 

Comme dans le passage des actes des apôtres (1°lecture de ce dimanche) où la crise de l’assistance des veuves a permis l’heureuse émergence du degré diaconal du sacrement de l’ordre, les énergies spirituelles reçues de la grâce divine, déployées et actualisées par le ressort inventif, ne doivent pas rester sans lendemain. Nous devrons garder le meilleur de cette féconde expérience pour inventer des façons nouvelles de soigner le lien communautaire et enrichir nos agirs pastoraux. Il faudra avec prudence et détermination nous aventurer dans une proposition plus convaincante du sens profond de la vie personnelle et sociale qu’apporte la Résurrection du Christ en une annonce plus efficace, respectueuse bien sur, de notre « sacrosainte » laïcité. L’horizon dernier de la vie humaine n’est pas de finir centenaire dans une EHPAD le plus humain possible ! Jésus est le Chemin, la Vérité et la Vie éternelle . Il nous fait passer par Lui pour aller vers le Père et connaître le bonheur sans fin du Royaume de Dieu , avec nos frères et sœurs ayant déjà accompli cette naissance définitive qu’est la mort terrestre ! Enfin, il conviendra de ne pas rentrer chez nous ,ou plutôt ressortir de chez nous, « comme avant » ! Les urgences écologiques, les changements de modèles économiques, la promotion d’une croissance vertueuse et d’une civilisation qui mettent l’humain au centre de tout , y compris dans sa dimension spirituelle, sont les ardentes obligations qui sont devant nous. Il faudra enfin veiller jalousement au respect pointilleux des libertés publiques du citoyen comme du croyant , fragiles et menacées par un principe de précaution qui peut vite devenir le prétexte d’un contrôle intrusif, omniprésent et aliénant ! L’énergie du Ressuscité nous accompagnera pour l’effectuation de ce « vaste programme ». 

Et comme la toute-puissance divine sait tirer le meilleur de toute épreuve, sachez qu’il existe, dans longue histoire de l’Eglise, une sainte Corona ! 

 

Abbé Jean Jacques Rouchi